Creuser le sillon ou ouvrir la fenêtre ?
J’ai la chance d’organiser régulièrement des prises de parole avec des intervenants de haut niveau. Ces rencontres m’inspirent et inspirent aussi beaucoup de personnes. A la relecture des programmations de ces dernières années, je m’aperçois à quel point cette démarche de diffusion est teintée par ma personne et mes modèles mentaux, ma manière de vivre, percevoir, ressentir et d’agir dans le monde. A la lecture de l’ouvrage « Stratégie modèle mental » de Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn et en discutant avec Béatrice, je me suis posé la question de ce que veut dire chercher de l’inspiration.
Je réalise à quel point j’ai construit à ma manière un modèle mental qui, sur certains sujets est venu hiérarchiser verticalement de manière très affirmée des disciplines, en en rendant certaines bien plus importantes que d’autres, me créant ainsi une identité riche et plurielle mais finalement sur certains sujets pas si flexible et si ouverte que cela. Une forme de rigidification insouciante et involontaire qui certes concourt à l’ouverture sur un ou plusieurs petits mondes qui m’intéressent mais pas forcément sur le monde. En d’autres termes, je creuse le sillon. C’est aujourd’hui cette question identitaire qui m’interpelle avec en lien cet acte d’inspiration dans sa construction.
S’inspirer, de manière courante dans nos pratiques, est-ce réellement s’ouvrir sur le monde ou conforter finalement son regard ? Quand je continue à lire le 325ème article sur la bienveillance entre 2019 et 2020 sur LinkedIn, est ce uniquement la captation de mon cerveau par un travail algorithmique qui m’enferme dans ce que je repère, ou est-ce moi-même qui ne voit que ce qui est évident dans ce que je porte. Bref, le biais de confirmation, aussi très tendance en ce moment.
Sauf que, comment voulez-vous concourir à imaginer autre chose, imaginer la réinvention des organisations, des marchés, de notre société … lorsque vous venez perpétuellement renforcer cette dimension verticale et rassurante de votre mode de fonctionnement, autrement dit lorsque vous ne faîtes que creuser plus profondément le sillon que vous avez déjà commencé à construire il y a peut être plusieurs années. Mon propos n’est pas de dire que de creuser le sillon n’est pas nécessaire mais cela ne me semble pas suffisant. L’exercice n’est pas facile car il s’attaque à des valeurs, des croyances, des préjugés, des constructions anciennes, des apprentissages, son éducation, sa manière de construire sa vie, son image sociale etc…
L’exercice de mettre en perspective la hiérarchisation de ses systèmes et de s’amuser à les déhiérarchiser pour en faire une sorte de tapisserie horizontale est assez impactant. Qu’est-ce que je mets en priorité dans mes grilles de lecture ? Comment est-ce que je sollicite le prisme de ma pensée et de mes actions dans ma manière de penser et d’agir ? De quelle manière les assouplir pour laisser de la place à d’autres ? A titre personnel, la question du Beau est absolument essentielle chez moi et devient donc très clivante. Autant vous dire que l’ultra pragmatique qui privilégie avant tout l’efficacité et le concret au détriment d’une profondeur de sujet (une manière de voir le Beau) génère régulièrement chez moi un temps de surprise, voire parfois un agacement ( je m’attends à « oui mais ce n’est pas parce que ce n’est pas pragmatique et concret que ce n’est pas beau »). Alors que cette clé de lecture est elle-même intéressante sur la question du « vrai » par exemple qui va privilégier le concret, le tangible. Sauf qu’en vous racontant cela et en me confrontant à une réalité bien concrète qui est celle de ma propre pratique artistique, je viens concilier le sujet du vrai ( la production d’un tableau ) avec ma question du Beau (la dimension de création) . Bingo, paradoxe chez moi ! Le lien peut bien évidemment se faire aussi sur le sujet du bon dans le plaisir que trouve l’autre dans l’acquisition d’une toile. Bref, nous arrivons sur le sujet de ET en du OU largement mis en avant en ce moment avec la complexité qui nous entoure.
Quand je crée un tableau avec ce qu’il porte de parti pris, la question de l’influence se pose aussi fortement. Suis-je capable de créer quelque chose qui n’est pas issu de mon cadre de référence ? Quand je regarde ma production artistique, j’y retrouve deux tendances évidentes, sont-elles le fruit de mon amour pour les arts premiers et l’expressionisme abstrait ? Peut-être, surement, mais aussi une expression inconsciente de quelque chose d’autre qui vient agir de manière symbolique ? les deux ? D’autres ?
Il me semble aussi intéressant de confronter ses systèmes avec les environnements dans lesquels nous pouvons nous trouver. Qu’est ce qui fait que, comme individu, j’ai un système de représentation qui vient ou pas se synchroniser avec celui de mon organisation et/ou de la société ? Autrement dit à quel moment mon système est-il plus ou moins prêt à vivre autrement en fonction des contextes ? Autrement dit, qu’est ce qui fait que parfois, il peut y avoir un décalage dans l’action des individus à travers l’autonomie et l’intelligence dont ils peuvent faire preuve dans leur quotidien et une latence dans la vie d’une organisation ? La question pourrait aussi se renverser : qu’est ce qui fait qu’une organisation bouge avec son collectif plus vite qu’un individu avec sa seule et néanmoins puissante intelligence ? et ainsi de suite … Je m’attends à avoir et trouver autour de moi plein de regards et vérités sur ces questions jusqu’à la prochaine remise en cause.
Pour conclure, je vous propose simplement sur le thème de l’inspiration de vous poser la question : Quand je lis, je regarde, écoute ou globalement je m’intéresse à quelque chose, est ce que j’ouvre une autre fenêtre ou est-ce que je creuse le sillon ? Ou autrement dit : Est ce que j’entretiens ou je donne vie à quelque chose de nouveau ?